dimanche 12 avril 2020

Dimanche de Pâques (homélie)


Jésus, le crucifié-ressuscité, nous précède en Galilée !
  

Par P. Bruno CADART, curé-doyen de Champigny, ancien médecin, employé comme aide-soignant à plein temps dans la lutte contre le coronavirus comme bénévole dans un EHPAD à Villiers-sur-Marne, a bien voulu partager avec nous sa méditation pascale. Merci à lui.  



Frères et sœurs,
Nous aimerions pouvoir ressentir toute la joie de Pâques, l’exubérance de la vie, des enfants qui courent, jouent, éclatent de cris et de rires. Avec ce printemps où la nature se pare de toute sa beauté, nous aimerions nous laisser toucher par la joie des amoureux de tous âges. Nous aimerions enfin sortir du tombeau avec le Christ. Il nous tarde de sortir du confinement, des bilans quotidiens du nombre de nouveaux malades ou morts. Nous voudrions être rassurés sur l’avenir immédiat, savoir quand et comment tout cela va prendre fin. Dans ce contexte difficile, peut-on vraiment croire, ressentir, exprimer, célébrer la joie de la résurrection ?

Une fois encore, nous sommes appelés à la conversion : le Dieu de Jésus-Christ, le Dieu que nous proclamons, auquel nous croyons, n’est pas un Dieu « Superman » ou « Mac Gyver », à la fois « Père fouettard sanguinaire » et « Dieu magique » qui ferait échapper à la condition humaine. Quelle tristesse profonde quand je vois certains d’entre vous relayer des messages internet de personnes prétendant avoir eu des révélations directes de Dieu présentant ce type de Dieu ! Frères et sœurs, soyez croyants, non pas crédules et ne véhiculez pas ce type de message qui n’ont rien à voir avec notre foi. 

Tout au long du temps pascal, méditons jour après jour la Parole de Dieu que l’Église nous propose pour savoir reconnaître le Christ ressuscité qui vient nous rencontrer, nous saluer même, nous saluer chacun, chacune, personnellement. (…) 
Dans l’Évangile de la Veillée Pascale, Saint Matthieu nous présente une résurrection spectaculaire, avec tremblement de terre et intervention d’un ange qui précède la rencontre de Jésus. Mais le message qu’il délivre est bien moins spectaculaire. Il y aurait beaucoup à méditer à partir ces quelques lignes. 
Je retiens d’abord cet appel de l’ange, du « messager de Dieu » qui résonne de manière particulière dans cette crise du Coronavirus et qui n’est en aucun cas une promesse de ne pas être contaminé : « Vous, soyez sans crainte ! » Autrement dit : même dans la tempête, gardez la paix qui vient de l’Esprit Saint, de ceux qui vivent la communion avec le Christ, qui n’ont pas peur d’être serviteurs. 
« Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité »

Le ressuscité continue d’être le crucifié, et les disciples, continueront de vivre dans un monde marqué par la maladie, la souffrance, la mort, et même les persécutions. Mais c’est là qu’ils seront appelés à se laisser rencontrer par le Crucifié Ressuscité, à vivre les épreuves qui font partie de la vie humaine en étant habités par la présence du Christ, animés par l’Esprit Saint qui n’est pas un esprit de peur mais un esprit de force et d’amour. 
Jésus ne réserve pas cet Esprit de force et d’amour aux chrétiens.

Ces jours-ci, nous sommes touchés par le témoignage (μαρτυρία, martyre, en grec) du Docteur Ali DJEMAOUI, médecin au Bois l'Abbé et mort le 2 avril, en tenue de service, atteint par le coronavirus.
Le Pape François parlait de l’œcuménisme du sang des martyrs.
L’unité entre les croyants de toutes confessions et avec les hommes de toute opinion se donne à contempler aujourd'hui dans l’engagement de tant d’hommes et de femmes au service de leurs frères. A travers lui, nous saluons tous ceux qui donnent leur vie au service des autres.

Je suis bouleversé par la manière dont Jésus s’approche des femmes qui sont allées de grand matin au tombeau, mais aussi de la manière dont Jésus s’approche de chacun de nous : il parle aux femmes, il nous parle à chacun, chacune, comme nous nous adressons à Marie, mère de Dieu et notre mère : « Je vous salue … »
Il ne se contente pas de les rencontrer, de les saluer mais il leur donne la mission de porter la nouvelle au monde, de porter Jésus crucifié ressuscité au monde :
« Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. »

Frères et sœurs, nous ne sommes envoyés pour annoncer ni un Dieu vengeur ni un Sauveur magique, mais nous sommes appelés à rejoindre nos frères en Galilée, au cœur du monde pour voir le Christ vivant, pour nous laisser rencontrer par le Ressuscité qui n’en finit pas d’être le Crucifié, celui qui donne sa vie par amour et nous appelle à le suivre sur ce chemin. 
Notre semaine sainte a été totalement différente des semaines saintes des autres années. D’un côté, elle a été « triste » du fait d’abord de la souffrance de l’humanité, de la maladie, de la mort si présente, des conséquences en termes de confinement, de chômage, des conséquences pour les plus fragiles, en France et dans les pays plus pauvres. Nous avons ressenti douloureusement cette impossibilité de nous réunir, de crier « Hosannah » dans des églises combles, de nous retrouver au palais des sports de Créteil pour refaire l’expérience d’être un corps envoyé à tous, en particulier aux malades, à ceux qui allaient être baptisés.
 Nous n’avons pas pu nous asseoir ensemble à la table de l’Eucharistie et laisser Jésus nous laver les pieds dans la messe du Jeudi Saint. Nous n’avons pas pu embrasser ensemble la croix et crier sa victoire le Vendredi Saint. Nous n’avons pas pu vivre la Veillée Pascale. Pourtant, je ne sais ce qu’il en est pour vous, mais je ressens comme jamais le lien qui unit les disciples du Christ ensemble et à tous les hommes. Le manque nous fait ressentir plus fort la soif des sacrements. Tous ceux qui lisent la Parole de Dieu chaque jour, encore plus quand ils ont fondé des "Maisons d'Evangile" internet, perçoivent de manière renouvelée toute sa force. Pour moi, je n’ai jamais ressenti si fort le lien entre la fête des Rameaux, le jeudi saint, le vendredi saint, le samedi du silence de Dieu, et le jour de Pâques. 

Depuis quelques jours, je travaille comme aide-soignant à l’EHPAD « le Vieux Colombier » à Villiers-sur-Marne. C’est vrai auprès de chaque malade, mais je l’ai perçu plus encore auprès d’une femme très âgée, totalement grabataire, aveugle, murmurant seulement des « merci » quand nous lui faisons la toilette ou lui donnons à manger. J’ai ressenti très fort la joie de la résurrection, de la rencontre du Crucifié Ressuscité, de la force de la présence divine, que dans la rencontre de cette femme et de tous les autres malades, ou dans l’accueil des familles en deuil que nous continuons d’accompagner pour les obsèques. Ce n’est pas une joie « bling bling », mais une joie soufferte qui ne passe pas. 

Frères et sœurs, je vous invite à recevoir chacun, chacune, pour vous, ces paroles de Jésus : « Je te salue… Je vous salue… » et de le laisser nous envoyer à nos frères en Galilée, au milieu du monde. En reprenant ces paroles, c’est aussi une manière d’évoquer notre évêque émérite le Père Daniel Labille, dont c’était la devise épiscopale, et qui est lui-même hospitalisé. A sa manière, il continu son ministère au milieu des malades et de ceux qui le soignent. Nous pensons aussi au Père Michel Santier, lui-même malade et à tous les malades de nos familles, de notre entourage. Mardi Saint, jour habituel de la messe chrismale, Le Père Labille a appelé le Père Santier pour dire qu’il pensait à nous et nous remerciait de nos prières. Tous, quels que soient notre âge, notre situation, (personne confinée, malade, ou au travail), tous et chacun, nous sommes invités à vivre ce moment en témoins du Crucifié Ressuscité. Nous ne le ferons pas avec nos propos forces, mais en laissant l’Esprit Saint nous rejoindre dans notre faiblesse.


Alors, oui, Alléluia, Christ est vraiment ressuscité, il est vivant ! 
Très bonnes fêtes de Pâques à chacun de vous !



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